Entretien avec Eco & Co.

Anse

Je rencontre Laurent Volle à Anse, pas très loin de de Villefranche sur Saône.  Nous nous retrouvons dans un troquet à l’entrée du village. Kelly son associée nous rejoindra un peu plus tard. Éleveur ovin pendant une dizaine d’années, Laurent a ensuite encadré un Atelier Chantier d’insertion dans lequel il a monté et animé une action éco paturage. Sur les bases de cette expérience il a monté Eco &co l’activité d’éco paturage qu’il pilote avec Kelly.

Parmi leurs différents chantiers, ils conduisent un troupeau de moutons dans une rénoutraie sous contrat avec le syndicat de rivière de la basse vallée d’Azergue. C’est une expérience pilote sur laquelle il a obtenu des résultats plutôt probants. Nous irons un peu plus tard visiter cette parcelle de 6ha, à quelques encablures de notre lieu de rendez-vous.

 

Un « BOOSTER DE BIODIVERSITÉ »

Le premier technicien avec lequel on a travaillé pensait éradiquer la renouée. On s’est vite rendu compte que c’était plutôt illusoire. « . Il s’agit d’avantage d’équilibrer la présence de la renouée et des autres espèces végétales. Les collectivités locales qui emploient les services d’Eco&co se montrent soucieuse de la biodiversité animale et végétale locale. Se posent également des questions de circulation et d’accès aux parcelles « envahies ». Les riverains font par ailleurs pression sur les collectivités pour « mettre propre » les berges de la rivière.

La parcelle que nous visiterons plus tard montre qu’en l’espace de quatre ans, la biodiversité végétale s’est manifestement accrue et que la surface couverte par la polygonacée est bien moins dense qu’elle ne l’est dans la parcelle voisine. En ce début du mois de janvier, nous progressons dans un paysage de berge assez surprenant. Les inflorescences desséchées des polygonum ponctue un sol déjà verdit par une grande diversité de plantes de zone humide. Arum, fenouil sauvage, oseille, cresson, … forment un tapis moelleux sur lequel nous marchons. Il bruine un peu et les tiges creuses craquent quand d’aventure nous les percutons.

Parmi les stratégies qu’ils expérimentent aujourd’hui, il est question de mettre des espèces arbustives qui vont limiter la Renouée, mais il faut pour que ses dernières s’installent maitriser la croissance de la polygonacée. Ils sont ainsi en train de faire un essai avec des jeunes population d’agneaux et d’agnelles de l’année. La faiblesse de leur dentition détourne les jeunes bêtes des fourrages ligneux et des arbustes. Le paturage démarré tôt dans la saison devrait retarder le développement de Fallopia au profit de cette strate arbustive.

En marchant, Laurent me faits comprendre que le pâturage n’a pas uniquement une fonction destructive. Il participe d’une redistribution et probablement d’un enrichissement de cet écosystème, du moins est-ce visible sur la strate végétale.

  • L’herbivore renouvelle bien sûr la répartition de l’accès à l’énergie solaire qui autrement est totalement accaparée par Fallopia Japonica.
  • En digérant la plante,il participe à une accélération de la dégradation de la litière. Dégradation qui si elle ne la favorise du moins n’empêche la pousse d’autres plantes.
  • On peut questionner également l’inscription du mouton dans le cycle de l’azote particulier de Fallopia .X . Qu’en est-il des effets sur la strate végétale du couple apport en azote des excrétas du troupeau et le phénomène connu d’inhibition des processus de dénitrification biochimiques issus de notre polygonacée ?
  • Dernière hypothèse dont la valeur scientifique reste tout aussi incertaine que les autres puisqu’elles viennent du même artiste béotien : Le mouton arrive avec son propre cortège de parasites ou de symbiotes bactériens et acariens. Ont-ils un rôle possible dans la modification de son environnement immédiat ?

Le pas du mouton arrondit le sol sableux des berges de l’Azergue dans un geste fécond. Il aura sur les épisodes de crues l’onglon, à défaut de main heureuse. La rivière préfèrera l’épanchement sur les pentes douces a d’autres formes plus brutales de sauts du lit. Le sol stabilisé par l’empreinte de l’ovidé restera là où il aurait été autrement emporté.

En apportant de la complexité au milieu, le mouton participerait à le rendre plus riche et donc plus résiliant. Ce faisant, le mouton permettrait à la renouée d’intégrer un processus d’acculturation, de trouver sa place dans le paysage. Ce que Laurent résume en ces termes : « Mes concurrent vendent leurs moutons comme des tondeuses, moi je les vends comme booster de biodiversité. « 

UNE ÉTHIQUE ANIMALE

 Kelly et Laurent insistent sur la responsabilité qu’ils prennent vis à vis de leur troupeau. « On nous proposé une fois un chantier de sous traitance en nous disant de venir vérifier une fois tous les 3 mois. Je trouve que ce ne sont pas des conditions satisfaisantes. Nous vérifions nos troupeaux pour ce qui nous concerne tous les deux jours.

On évite de positionner les moutons le long des autoroutes. Suivant les conditions, on envisage de répondre à RFF (Réseau Ferré de France).  Ce sont souvent des parcelles très longues avec très peu de profondeur. Le train quand il passe, il affole le troupeau. Les brebis vont se tasser dans un coin, elles couchent le filet, le coup d’après elles sont sur la voie. »  Cette responsabilité s’inscrit par ricochet on le voit sur la notion de risque vis à vis du client. L’éco patureur est responsable de ce qui peut arriver au troupeau comme des éventuels dommages, conséquences de son comportement. Ce positionnement moral préoccupe également le client, souvent plus en termes d’image, il faut le concéder. Le public développe en effet une empathie forte avec l’état de santé visible des animaux. Il aura de ce fait tendance à juger défavorablement la présence d’animaux moins bien portant comme des vieilles brebis. Cela peut pousser la collectivité ou le donneur d’ordre à demander à avoir des troupeaux plus uniformes. Ce qui peut entrer en contradiction avec la gestion sanitaire du troupeau comme me l’explique Laurent.    

BIO-INDICATIONS

 « J’ai des jeunes agneaux comme des vieilles brebis de douze ans. Je garde tout parce que ce sont des bons indicateurs de l’état sanitaire du troupeau. On a des effets de seuils sur les toxiques et c’est ces catégories, les vieux et les tout petits qui vont présenter des problèmes en premier, du coup ça te laisse le temps de réagir sur les autres. »

Les sources de toxiques peuvent être simplement végétales ou microbienne par exemple les fougères vont avoir des propriétés toxiques suivant la quantité absorbée par l’animal, mais on peut aussi avoir des problèmes liés à la présence d’Éléments Traces Métalliques ou de polluants organiques dans les sols (dioxines, PCB,).

Kelly et Laurent m’expliquent qu’ils ont eu plusieurs fois l’occasion d’échanger avec un vétérinaire toxicologue. En fonction des races, il y aurait plus ou moins de tolérances à certains toxiques. La météo influe de plus sur les comportements des plantes et donc la concentration potentielle de toxines, sans parler d’une concentration de polluants parfois très difficile à évaluer avant la mise en paturage. Toutes choses complexes qui rendent nécessaires cette méthode empirique de détection. La situation amène les deux écopatureurs à souhaiter la mise au point d’une expertise transdisciplinaire qui permettrait d’anticiper sur les questions toxicologiques.

La renouée est connue pour ses propriétés indicatrice et fixatrice de certains éléments traces métalliques. La plante est principalement présente dans la basse vallée de l’Azergue. Il semblerait d’après ce que m’explique Laurent que le peuplement de renouée soit plus dense en aval d’un ancien site de production de peinture. Il émet également une autre hypothèse sur cette répartition en invoquant la forte présence d’éleveurs bovin en amont. Le paturage et le piétinement des gros herbivores auraient aussi leur rôle à jouer dans cette histoire. L’intoxication potentielle du troupeau aux ETM par l’absorption de la renouée est préoccupante. Si l’éco pâturage offre des avantages indéniables, est-il possible de faire porter durablement la responsabilité de la saturation des milieux aux mêmes intermédiaires : barbares : plantes « invasives », « mauvaises » herbes ou aux esclaves domestiques ? Comment prendre notre part ?

Laurent précise que le choix de la race est important, mais elle n’est pas la seule action déterminante pour pâturer efficacement la renouée. « Il vaut mieux une race rustique qui a l’habitude de s’attaquer à tout ce qui traine. » Une bonne adaptation au terrain est également à privilégier. On pourrait d’ailleurs se demander si un processus de sélection -qui, soit dit en passant, n’est ni plus ni moins qu’un « design » de l’espèce répondant à des fonctions et des usages bien précis- ne serait pas ainsi à entreprendre pour les différents terrains de l’éco pâturage. 

 Laurent a dû aller à l’encontre de certaines habitudes d’élevage, la diversité du troupeau encore une fois prouve ses avantages :  » je ne voulais conserver que des femelles pour pas avoir des soucis d’agneaux qui arrivent un peu n’importe comment et éliminer les mâles. Je me suis rendu compte que les mâles ne mangent pas tout à fait la même chose et pas de la même façon.  Et sur des interventions où j’ai besoin d’une dent plus dure, le bélier va plutôt bien. Quand par exemple, les plantes commencent à lignifier en fin de saison c’est complètement adapté. Il peut utiliser son poids pour faire verser des grosses tiges. On a par exemple fait des interventions sur une fin de saison avec des feuilles qui commençaient à jaunir. Ils ont quand même ravagé le truc. » 

C’est que l’objectif est différent entre l’élevage et l’éco paturage. Le premier est concentré sur le produit, le second sur la qualité de traitement du sol. L’éco pâtureur évalue son travail suivant le niveau de pression de paturage à apposer sur la parcelle. En fonction du type de végétation à maîtriser, on aura plus ou moins de brebis à l’hectare. « Pour attaquer de la renouée par exemple, je ne mets pas moins de 10 brebis à l’hectare. S’il y en a moins, elles en mangent quand même, mais le résultat n’est pas suffisamment visible. »

Dans la plupart des cas, les parcelles sont divisées en deux ensembles égaux, Le troupeau est ensuite déplacé périodiquement de l’un à l’autre. Cela permet de bien pâturer et d’installer le troupeau dans la durée.

UNE APPROCHE DU PÂTURAGE SITUÉE ET APPRENANTE

« On m’avait dit que les moutons n’allaient pas naturellement à la Renouée. Qu’il faudrait sans doute leur préparer le boulot en coupant des feuilles.  Avec mon expérience d’éleveur, je savais qu’on pouvait les forcer alors j’ai essayé et ça a fini par prendre. » m’explique Laurent. Eco &Co a ainsi développé une stratégie pour acculturer le troupeau à la ressource.  Ils font ainsi des agnelages au mois de mars pour renouveler leur cheptel et que les mères apprennent au petits à se nourrir de Renouée. Il y a ainsi un apprentissage des usages de la plantes dans le troupeau. Autre exemple qu’il cite :  » Il m’arrive de prendre des troupeaux d’autres éleveurs. Il va leur falloir un mois voire deux pour qu’ils apprennent à manger de la Renouée. Pour accélérer le processus, je mélange des brebis à moi qui  » forment  » le troupeau. »

UN DESIGN PASTORAL ?

La mise à profit des connaissances du comportement des animaux ainsi qu’une observation de terrain précise et réflexive inscrivent le berger eco-patureur dans une démarche d’amélioration fonctionnelle de ses méthodes et de son troupeau.  Choix des caractéristiques « techniques » d’adaptation de l’animal au milieu, mise en place des routines d’utilisation des cadres spatiaux (usability), adaptation des comportements aux usages recherchés (functionality), progression dans leur acquisition et leur optimisation (learnability). Trois principes sur lesquels reposent les pratiques du design. Le Berger serait-il donc designer ?