Au cours des années, j’ai été amené en tant que designer à concevoir des objets de plus ou moins grande taille, dans des espaces urbains. Dans ce cadre, il m’a été demandé notamment sur des conversions de friches industrielles, d’anticiper sur les effets d’une pollution des sols et sur les coûts d’une éventuelle dépollution engendrés par un choix d’aménagement.

Bien que des alternatives notamment en bio-remédiation existent, dans la plupart des cas, le sol « malsain » est décaissé puis emmené dans un centre de traitement pour être remplacé par un autre réputé « sain ». Issu d’un milieu agricole, j’avais par ailleurs connaissance des mécanismes de vie du sol. Ce déplacement d’ écosystèmes entiers, résultat d’une formation à l’échelle du millier d’année – fussent-ils saturés en éléments métalliques ou organiques – pose question. Quelles sont les conséquences de ce déplacement pour le lieu d’arrivée et les populations qui l’entourent ? Quelles peuvent être celle-ci pour le lieu de prélèvement du sol « sain » ? Que peut il se passer par ailleurs dans la mise en relation forcée entre les habitants de ce sol sain et le nouvelle environnement dans lequel il se trouve inséré par force ?

 

Terres planes, landscape fiction 2017
Terre commune, Jardin germoir,  2019

Cette situation fut pour moi le premier point d’ancrage d’une interrogation sur les possibilités d’une inscription de ma pratique de design dans une tactique de remédiation des sols, notamment urbains.

Les villes croissent de manière non-linéaire, pas forcément en densité d’ailleurs. Elles décroissent aussi. On l’expérimente au quotidien à Saint- Étienne mon lieu de vie ou à Détroit par exemple. Interrogé par une possible restitution de la terre à ses fonctions nourricière – ou pour le moins biologique – dans le cycle de vie urbain, je forme l’hypothèse d’une agriculture urbaine de remédiation inscrite dans les dynamiques de dé-construction du bâti. Il s’agit d’un premier composant – pour paraphraser et quelque part renverser le modèle d’économie circulaire de construction CRADLE TO CRADLE – d’une conception de la ville DIRT TO DIRT dont le point de départ est le sol, apprécié dans ses caractéristique géologiques ET biologiques.

Cette représentation nous amène à considérer l’urbain comme partie prenante des phénomènes de pédogenèse. Les sols urbains ont des caractéristiques et des modes de formation propres. Ces processus de formation ont également une emprise et une incidence sur la formation des sols à une échelle globale.

 

Terres planes, landscape fiction, 2017

Les sols, stratifient des usages (culture, bâti, logement, enfouissement,…). Ces usages atteignent un degré paroxystique en milieu urbain. Comment les concilier avec des fonctionnements biologiques et géologiques situés ? Cet objet d’une grande complexité – certains en parlerons comme d’un hyper-objet – est aujourd’hui dominé par une appréciation technique et technologique. Une Ethnopédologie urbaine serait probablement à inventer : une forme d’étude pluridiciplinaire mettant en résonnance savoirs scientifiques, imaginaires et représentations situées des sols.

Je propose pour ma part des formes qui reposent sur une approche cosmotechnique. Elles tentent de situer – à défaut de répondre – à la question suivante : comment faire monde avec la terre en milieu urbain ? Ces formes alimentent des récits d’alternatives. Le corpus ainsi formé pourrait-il outiller cette ethnopédologie urbaine ?

Terroir urbain, diagramme de répartition des cultures pour un panier de course, Saint-etienne 2018.

Nourries par des références scientifique ces représentations permettraient de donner à l’action politique (élus, citoyens, techniciens) deux type d’informations :

– Qu’est-ce ce qui relève de notre responsabilité en tant que groupe. (quitte à redéfinir les zones d’appartenance).

– Comment fonctionne ce qui relève de cette responsabilité pour agir en conséquence. Si on voulait, par exemple représenter l’ensemble des terres qui sont utilisées pour nourrir une ville, littéralement son terroir, on aurait probablement un ensemble plus ou moins disséminé sur la surface du globe.

Je forme l’hypothèse qu’une représentation et une qualification de ce TERROIR URBAIN nous permettrait de travailler efficacement à une relocalisation des productions agricoles en activant notamment cette notion de responsabilité. Ils nous amènerait peut être à envisager un modèle d’urbanité distribuée, mieux a même de répartir la pression des usages humains sur les écosystèmes.